L’univers
d’Aurélie Mourier se compose d’un répertoire de formes fait de cubes et de
lignes, résultant de chiffres et de formules. Artiste particulièrement
influencée par le domaine scientifique, elle applique à sa pratique plastique
des hypothèses, construit des théorèmes et se détermine une base numéraire.
L’unité (le voxel) et la règle sont toujours appliquées : une base 5 et
une matrice cubique de 25 unités de côté. La mesure est donnée !
Se
saisissant alors aussi bien de formes imaginaires ou issues du réel, elle les
transforme, les passe dans son prisme… Elles en ressortent
« voxellisées », numériquement d’abord et matériellement ensuite. Ces
formes peuvent avoir été créées aléatoirement lors d’un lancé de dés, véritable
générateur de coordonnées qui assemblées donneront un modèle en trois
dimensions. Elle « cubifie » et modélise autant un lièvre, une
bouteille, qu’une sphère et réalise à partir de ces modélisations des
architectures, des livres, des installations, des sculptures empreints d’une
indéniable élégance.
Elle
radiographie les formes qu’elle choisit et les divise méthodiquement en
cubes. Commençant par les déconstruire suivant la formule qu’elle a préétablie,
elle les reconstruit ensuite. Attachée au travail plastique, Aurélie Mourier
découpe, perce, coud, enfile, méticuleusement et longuement afin que ses conceptions
prennent forme physiquement. C’est d’ailleurs ainsi que ces pièces aseptisées conquièrent
leur part de fragilité, de sensibilité. Incontestablement, sa démarche est
assimilable à celle d’un anatomiste. L’artiste conserve même une unité cubique
qui a servi pour une de ses réalisations[1]…
À
l’aparté, sur le domaine de Trémelin, où elle est invitée à réaliser une
exposition, elle s’intéresse au monde végétal. Le microcosme de cette
résidence : la forêt. Elle décide alors de se consacrer à la botanique.
Choisissant des arbres pour leurs formes et non en fonction de leur genre, leur
espèce ou leur famille, elle travaille comme une botaniste spécialiste en
morphologie végétale. Recensant la forme des essences forestières qui composent
le paysage derrière la fenêtre : un arbre à long tronc fin ; un arbre
conique comme un sapin ; un arbre rond et gros ; un arbre en forme de
poire et enfin un arbre ayant repoussé à partir d’une souche. En conséquence, elle
constitue cinq herbiers évidés : des livres percés à partir des cinq profils
isolés. Représentées en perspective, leurs formes transpercent l’univers aplati
du livre. Alors que le botaniste utilise l’herbier pour conserver ses échantillons
à plat et en relief, Aurélie Mourier investit le même espace en creux. Et c’est
ce creux, né de l’accumulation de chaque page percée, qui constitue le
volume ! Elle octroie une troisième dimension aux herbiers redonnant ainsi
aux arbres représentés toute leur ampleur.
Présentés
dans l’espace d’exposition de l’aparté, ces herbiers entrent en résonance avec
la forêt derrière les vitres. Disposés sur des tables sous de petites lampes
avec des gants blancs pour les manipuler, les livres sont précieusement montrés
et paraissent dévoilés juste pour le visiteur. L’impression d’entrer dans le
laboratoire d’un étrange savant ne nous quitte pas. D’autant plus lorsque l’on
découvre ensuite une énigmatique sculpture, cousue en maille fine et blanche à
carreaux. Suspendue au plafond, légèrement affaissée, elle semble être la mue
d’un insecte que l’on ne saurait identifier. Derrière elle, un indice, se
trouve un plan. Une succession de lignes s’étale de manière architecturée… Les
deux figures s’ajoutent l’une à l’autre. On comprend qu’elles se complètent.
L’idée d’une machine est en train de naître …
Il
s’agit exactement
d’une mécanique, celle du stéréo microscope. L’outil inéluctable du botaniste a
été lui aussi mis au cube. Ce plan est le sien, son patron, un parmi les
nombreux possibles… Décryptée, la machine reprend sa forme dans cette peau
reconstituée accompagnée de son gabarit.
L’installation
d’Aurélie Mourier insuffle l’incertitude, invite à décoder, demande que l’on
décrypte ces objets mis au cube - qui nous semblent de prime abord si abscons -
pour en découvrir l’essence. Sommes-nous devant une démonstration
scientifico-ludique ou une pure fiction ? Sont-ce des empreintes du
réel ? Des chimères ? Que sont ces formes expressives si étranges,
méticuleusement présentées, que l’on nous dévoile après leur dissection ? L’artiste
réalise son renversement dans cet interstice entre abstraction et matérialité,
créant un réel sublimé. Vous êtes entré dans un monde idéel, il s’agit de
poésie !
Camille Planeix
[1] Cube in vitro
(chimie de cuisine). Cube en mousse et bocal,
8 x 9
x 7cm, 2010. Conservation d'une
des unités cubiques utilisée pour mes réalisations.
Le bocal appartient à
plusieurs domaines différents qui sont à chaque fois des manières pour l’homme de
comprendre et d’agir sur ce qui l’entoure (cabinets de curiosités, analyse
scientifique et bricolage domestique).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire