Lettres de non (Julien) motivation (Prévieux)
Artiste français de 34 ans, Julien Prévieux a une approche à la fois littéraire et cartésienne du capital humain immatériel. Méthodique, il a recours à des procédés rationnels afin de pénétrer des processus inhérents à notre civilisation. De cette manière, dans la série de dessins A la recherche du miracle économique (2006), il recompose les mots extraits de textes fondateurs de l’économie et décode d’autres intentions afin d’en tirer des perspectives nouvelles. Prolongeant ses recherches, il collecte avec What shall we do next (vidéo, 2007) les gestes liés aux nouvelles technologies et associés à des brevets déposés. Dans la même démarche de collection, Compostage est un relevé d’annotations anonymes trouvées dans des livres. Indices probants, les mots ainsi sortis de leur contexte prennent une autre dimension. En 2008, il met en scène sa propre exposition rétrospective : COMMENT, NO COMMENT (1).
Disséquant la relation entre l’individu et l’entreprise avec ses Lettres de non-motivation (2000-en cours), Julien Prévieux décrypte la production de valeurs au sein du capitalisme cognitif. Il manifeste dans ses lettres ce que chacun d’entre nous n’ose réaliser. Répondant à de réelles offres d’emploi, il rédige des lettres fictives, s’inventant à chaque occasion une identité, une profession, un langage ou des compétences afin de décliner les emplois proposés. Dans un style schizophrénique employant tour à tour humour, causticité, ironie ou sens de l’absurde, l’artiste rédige le contre-pied de lettres de motivation. Œuvre certes littéraire, les Lettres de non-motivation sont le reflet de l’ambivalence d’un mode de recrutement entre mise en avant et mépris de l’individu. Parmi les courriers types et les envois restés sans réponse, seul un pourcentage infime de ces mille lettres de non-motivation envoyées a reçu une réponse montrant que l’allusive candidature a retenu l’attention. La plus marquante, celle de la société Pilkington (2) qui refuse la qualification de « désuet » du métier de coupeur de verre, s’efforce de légitimer son intérêt et son utilité. Par ce procédé, Julien Prévieux intervertit le positionnement de « dominant » de l’employeur et celui de « dominé » du postulant. L’employeur en vient à motiver sa démarche d’entrepreneur et à argumenter ses actions et ses choix. L’entreprise Henkel (3), par exemple, justifie son slogan et son implication dans des œuvres caritatives face à l’accusation par l’artiste des déconvenues écologiques de la société dans le Kent en 2003.
S’adressant de sa position d’individu isolé à l’expérience collective, Julien Prévieux fait mouche avec des oeuvres aux confins du langage artistique et de l’anthropologie. Il agit comme un collectionneur étudiant son temps. A travers cette démarche, il dénonce le formatage de notre société, de ses codes de langage et son manque d’humanité.
1. Domaine de Kerguéhennec, Bignan (56), du 19 avril au 15 juin 2008.
2. «J’ai toutefois peu apprécié que vous puissiez tourner en dérision un des métiers les
plus reconnus de notre profession», Pilkington France.
3. «Pour vous expliquer brièvement notre démarche et qui nous sommes», Henkel France S.A.
Thirty-four-year-old French artist Julien Prévieux has an approach to the immaterial human capital that is at once literary and Cartesian. In his methodical way, he resorts to rational procedures in order to venture into processes inherent to our civilisation. In the series of drawings titled A la recherche du miracle économique [Looking for the Economic Miracle] (2006), he duly re-composes words taken from basic economic texts and decodes other intents, so as to derive new outlooks therefrom. By extending his research, with What shall we do next? (video, 2007), he collects gestures associated with new technologies and patents applied for. In the same collecting approach, Compostage is a survey of anonymous annotations found in books. Like so many searching clues, the words thus removed from their context take on another dimension. In 2008, he staged his own retrospective show: COMMENT, NO COMMENT (1).
In dissecting the relation between individual and business with his Lettres de non-motivation [Non-motivation letters] (2000-ongoing), Julien Prévieux deciphers the production of values within cognitive capitalism. In his letters, he displays what none of us dares to realise. Replying to real job offers, he writes fictitious letters, inventing himself each time with an identity, profession, language and qualifications, the better to deal with the jobs being proposed. In a schizophrenic style using, turn by turn, wit, sarcasm, irony and a sense of the absurd, the artist draws up the obverse of letters of intent. The Lettres de non-motivation are undoubtedly a literary opus, and as such they reflect the ambivalence of a recruitment method
somewhere between emphasising the individual and showing contempt for him. Among the standard letters and mail remaining unanswered, only a tiny percentage of these one thousand letters of intent dispatched received a response showing that his allusive candidacy had received some attention. The most striking one, from the Pilkington company (2), refusing the qualification “obsolete” for the trade of glass-cutter, strives to legitimise its interest and its usefulness. Through this procedure, Julien Prévieux reverses the ‘dominant’ position of the employer and the ‘dominated’ position of the applicant. The employer motivates his entrepreneurial approach and puts forward arguments for his actions and choices. The Henkel Company (3), for example, explains its slogan and its involvement in charitable works, when accused by the artist of ecological disappointments by the company in Kent in 2003.
Addressing his position as an individual isolated from the collective experience, Julien Prévieux hits the bull’s eye with his works on the borderline of art language and anthropology. He acts like a collector studying his day and age. By way of this approach, he rails against the formatting of our society, its linguistic codes, and its lack of humanity.
1. Domaine de Kerguéhennec, Bignan (Brittany), from 19 April to 15 June 2008.
2. “But I did not greatly appreciate your mockery of one of the most acclaimed trades in
our profession”, Pilkington France.
3. “To give you a brief explanation of our approach and who we are”, Henkel France S.A.
Camille Planeix
Notice sur les Lettres de non-motivations de Julien Prévieux
Catalogue Valeurs croisées, 1ère édition des Ateliers de Rennes -
Biennale d'art contemporain, 2009
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