1.12.11

Aurélie Mourier, Herbier, catalogue de l'exposition éponyme à L'aparté, Domaine de Trémelin, novembre 2011, édité à 500 exemplaires.




L’univers d’Aurélie Mourier se compose d’un répertoire de formes fait de cubes et de lignes, résultant de chiffres et de formules. Artiste particulièrement influencée par le domaine scientifique, elle applique à sa pratique plastique des hypothèses, construit des théorèmes et se détermine une base numéraire. L’unité (le voxel) et la règle sont toujours appliquées : une base 5 et une matrice cubique de 25 unités de côté. La mesure est donnée !

Se saisissant alors aussi bien de formes imaginaires ou issues du réel, elle les transforme, les passe dans son prisme… Elles en ressortent « voxellisées », numériquement d’abord et matériellement ensuite. Ces formes peuvent avoir été créées aléatoirement lors d’un lancé de dés, véritable générateur de coordonnées qui assemblées donneront un modèle en trois dimensions. Elle « cubifie » et modélise autant un lièvre, une bouteille, qu’une sphère et réalise à partir de ces modélisations des architectures, des livres, des installations, des sculptures empreints d’une indéniable élégance. 

Elle radiographie les formes qu’elle choisit et les divise méthodiquement en cubes. Commençant par les déconstruire suivant la formule qu’elle a préétablie, elle les reconstruit ensuite. Attachée au travail plastique, Aurélie Mourier découpe, perce, coud, enfile, méticuleusement et longuement afin que ses conceptions prennent forme physiquement. C’est d’ailleurs ainsi que ces pièces aseptisées conquièrent leur part de fragilité, de sensibilité. Incontestablement, sa démarche est assimilable à celle d’un anatomiste. L’artiste conserve même une unité cubique qui a servi pour une de ses réalisations[1]

À l’aparté, sur le domaine de Trémelin, où elle est invitée à réaliser une exposition, elle s’intéresse au monde végétal. Le microcosme de cette résidence : la forêt. Elle décide alors de se consacrer à la botanique. Choisissant des arbres pour leurs formes et non en fonction de leur genre, leur espèce ou leur famille, elle travaille comme une botaniste spécialiste en morphologie végétale. Recensant la forme des essences forestières qui composent le paysage derrière la fenêtre : un arbre à long tronc fin ; un arbre conique comme un sapin ; un arbre rond et gros ; un arbre en forme de poire et enfin un arbre ayant repoussé à partir d’une souche. En conséquence, elle constitue cinq herbiers évidés : des livres percés à partir des cinq profils isolés. Représentées en perspective, leurs formes transpercent l’univers aplati du livre. Alors que le botaniste utilise l’herbier pour conserver ses échantillons à plat et en relief, Aurélie Mourier investit le même espace en creux. Et c’est ce creux, né de l’accumulation de chaque page percée, qui constitue le volume ! Elle octroie une troisième dimension aux herbiers redonnant ainsi aux arbres représentés toute leur ampleur.

Présentés dans l’espace d’exposition de l’aparté, ces herbiers entrent en résonance avec la forêt derrière les vitres. Disposés sur des tables sous de petites lampes avec des gants blancs pour les manipuler, les livres sont précieusement montrés et paraissent dévoilés juste pour le visiteur. L’impression d’entrer dans le laboratoire d’un étrange savant ne nous quitte pas. D’autant plus lorsque l’on découvre ensuite une énigmatique sculpture, cousue en maille fine et blanche à carreaux. Suspendue au plafond, légèrement affaissée, elle semble être la mue d’un insecte que l’on ne saurait identifier. Derrière elle, un indice, se trouve un plan. Une succession de lignes s’étale de manière architecturée… Les deux figures s’ajoutent l’une à l’autre. On comprend qu’elles se complètent. L’idée d’une machine est en train de naître …
Il s’agit            exactement d’une mécanique, celle du stéréo microscope. L’outil inéluctable du botaniste a été lui aussi mis au cube. Ce plan est le sien, son patron, un parmi les nombreux possibles… Décryptée, la machine reprend sa forme dans cette peau reconstituée accompagnée de son gabarit.

L’installation d’Aurélie Mourier insuffle l’incertitude, invite à décoder, demande que l’on décrypte ces objets mis au cube - qui nous semblent de prime abord si abscons - pour en découvrir l’essence. Sommes-nous devant une démonstration scientifico-ludique ou une pure fiction ? Sont-ce des empreintes du réel ? Des chimères ? Que sont ces formes expressives si étranges, méticuleusement présentées, que l’on nous dévoile après leur dissection ? L’artiste réalise son renversement dans cet interstice entre abstraction et matérialité, créant un réel sublimé. Vous êtes entré dans un monde idéel, il s’agit de poésie !

Camille Planeix



[1] Cube in vitro
 (chimie de cuisine). Cube en mousse et bocal, 
8 x 9 x 7cm, 2010.  Conservation d'une des unités cubiques utilisée pour mes réalisations. 

Le bocal appartient à plusieurs domaines différents qui sont à chaque fois des manières pour l’homme de comprendre et d’agir sur ce qui l’entoure (cabinets de curiosités, analyse scientifique et bricolage domestique).